"Je te désapprendrai à espérer pour t'apprendre à vouloir" : Sénèque
Deuxième lettre à Grisha…
Il s’est produit, ce grand événement qui devait réunir tous ceux qui œuvrent pour toi, Grisha, mon presque frère ! Tu aurais dû être parmi nous. Mais les inondations, les formalités, ne t’ont pas permis d’être là pour ce moment festif. J’ai vécu ces temps forts pour toi, pour te les raconter. J’ai rencontré les acteurs de ta marche vers une nouvelle vie , libéré des souffrances qui te handicapent depuis 10 ans. Tu en connais déjà deux, André Bailly et Nicolas Vanier, pour les avoir accueillis chez toi, là- bas , au cœur de cet océan glacé qui est ton univers, dans la Yakoutie des montagnes, à plus de 7000 km de Moscou. Tu leur as fait partager quelques fulgurances de ta vie de jeune berger Evène. Tu as forcé leur respect par ton courage, ta détermination à te dépasser jusqu’à devenir le meilleur, dans ta vie de renniculteur, comme lors des compétitions. Malgré tes mains terriblement abîmées et ton visage couvert de plaies. Les tiens, eux, t’ont consacré Chef d’une grande harde!
Je les comprends maintenant que je te connais un peu, à travers eux. Le regard des autres te pèse, te rendre un visage c’est te rendre la vie, au sens littéral du terme, cette vie que tu as déjà failli perdre quand des flammes ont dansé sur toi lorsque que tu n’étais encore qu’un enfant,. Tu as survécu alors que tes chances étaient infimes. Dix ans ont passé. Malgré la formidable énergie des médecins Yakoutes et Russes qui t’ont sauvé , tu es de nouveau en danger. La peau de ton visage, trop fine, ne te protège plus des hivers glacés qui la mordent et la brûlent à nouveau. Ici, à Lyon, des chirurgiens t’attendent, prêts à accomplir des miracles, une trentaine de greffes. Et les quelques centaines de milliers d’ euros nécessaires pour que ces miracles s’accomplissent sont déjà en train d’être collectés…
C’est pour cela, pour ce combat-là que ces trois journées de la solidarité, du 30 septembre au 2 octobre ont été organisées par l’Association Bugey sans Frontières et le Groupe Orpéa, initiateur du Printemps des Générations. A Péronnas, puis à Chatenoy le Royal , ceux que tu rencontreras bientôt, tous les bénévoles qui œuvrent pour toi, André Bailly, chargé de l’éthique dans l’association BSF, Monique Gaillard, qui préside Bugey Sans Frontières, Jean Pascal Flauder, du Groupe Orpéa , les deux parrains de ces journées, Nicolas Vanier et Luc Jacquet et la marraine,Sandrine Bailly, étaient là dans cet unique but: Matérialiser cette urgence pour le public venu apporter son soutien à ce magnifique élan. Au -delà de l’argent récolté, ce petit ruisseau qui grandit de jour en jour, c’est la portée symbolique de la présence de toutes ces personnes que je voudrais te faire ressentir, même si je t’imagine intensément étonné de ce que tu peux générer. Nicolas Vanier, qui t’a rencontré, chez toi, lors du tournage du film « Loup », qu’il venait présenter ces soirs-là au public de Péronnas et de Chatenoy le Royal , nous a parlé des tiens, de toi, de la vie du peuple Evène, tendant ainsi une passerelle de mots entre toi et nous.
Ce qu’il a dit ? » Parmi le peuple Evène, avec ses mains brûlées, Grisha est au-dessus du lot. Le combat qu’il mène personnellement est incroyable! J’ai connu d’autres Evènes, avec lesquels j’ai construit de vraies amitiés, ils ont tous cette force et cette détermination. C’est pourquoi j’ai envie de parler d’eux. Mon église , c’est la nature dans laquelle j’ai passé ma vie, les Evènes la voient façonner leur âme. Ce qui m’a profondément marqué, c’est leur joie de vivre, alors qu’ils n’ont rien au sens que l’on donne au terme « avoir »,. J’ai passé un an avec eux. Il y a chez ce petit peuple beaucoup d’humanité. Au travers de l’histoire de » Loup » et de Grisha, je donne un vrai sens à mes voyages, je transmets un message ensuite auprès de la jeunesse. « .
Il a rajouté, au cours d’un entretien que nous avons eu plus tard: » Je suis persuadé que cette notion de peuples, de frontières , disparaitra, dans un siècle ou deux , il n’y aura plus aucune frontière« . J’aimerais qu’il ait raison, mais ceci est une autre histoire..
Luc Jacquet, que tu rencontreras certainement un jour, était lui, venu porter tes couleurs au travers de la présentation de son film , « La marche de l’Empereur ». J’ai aimé la force de ses propos : » J’ai rencontré André Bailly. Son énergie pour défendre Grisha m’a interpellé. Pourquoi vouloir sauver un homme alors que tant d’autres meurent sur cette planète? Et pourquoi pas.?…Il y a quelque chose en lui, il a l’air d’y tenir tellement, cela m’a touché…. André m’a raconté Grisha, sa rage d’être le meilleur. Je ne sais pas grand chose de lui , mais ce que je sais me touche profondément. »
C’est à Châtenoy le Royal que fut abreuvé le ruisseau qui symbolise, à chaque don, la vie qui pulse jusqu’à toi. Un chèque important fut remis par Madame le Maire de Châtenoy à André Bailly, pour Bugey Sans Frontières, qui recueille les fonds pour toi, en ton nom et qui représente bien plus que de l’argent. C’est Jean Pascal Flauder, au nom du Groupe Orpéa, avec l’aide de tout son personnel, qui a permis que ces fonds soient récoltés. Une autre belle histoire autour de toi, Grisha… Le Printemps des Générations, qui bâtit un pont entre les personnes âgées accueillies dans les 13 maisons de retraite du Groupe Orpéa Rhône-Alpes et des jeunes. Jean Pascal Flauder, qui dirige la Résidence Retraite Les Amaltides, à Châtenoy le Royal, a présenté cette année un projet autour de toi aux 12 autres directeurs de la Région, qui ont tous adhéré. Et c’est ainsi qu’en moins de 6 mois, une mobilisation de l’ensemble des salariés et des résidents ,en bâtissant des actions avec des jeunes en difficulté sociale ou physique, a permis une belle récolte. Tous te considèrent désormais comme leur frère, et comme tu as réussi à dépasser tes handicaps, ils ont dépassé les leurs pour récolter ces fonds. Le rêve de chacun ma
intenant est de te rencontrer.
Avant de repartir de Châtenoy, j’ai eu un long entretien avec ton ami, André Bailly, qui a jeté les bases de notre prochaine rencontre. Je sais désormais les étapes qui vont scander ta venue parmi nous. Tu étais attendu dès le 4 octobre au Centre de formation à l’élevage de Poisy pour un stage d’enseignement pratique: « Comment traiter les animaux? Les soigner ». Ce qui va te permettre d’obtenir un visa d’étudiant. Tu devrais en parallèle entrer dans une seconde école à la Roche sur Foron, en Savoie. Cette école devant t’apprendre le travail de la viande. Toi et les tiens êtes menacés par l’ouverture des frontières et la concurrence qu’elle entraîne. En pays Yakoute, le bœuf peu à peu remplace le renne, votre seule source d’échange. Vous devez donc vous ouvrir aux règles du commerce et respecter les normes internationales, il en va de votre survie.
Puis, le 10 janvier 2011, tu as rendez-vous avec les chirurgiens de l’hôpital Saint Joseph Saint Luc de Lyon, dans le service du Docteur Foyatier, qui t’a examiné en mai 2008 . Tu devrais rester 5 ans en France et les fonds qui sont en train d’être récoltés par l’intermédiaire de Bugey Sans Frontières devraient permettre d’assurer les frais, hospitaliers, de rééducation, entre autres, pour la première année. La chaîne de solidarité, maillon par maillon, se constitue. Tu es attendu, au-delà de ce que tu peux imaginer, Grisha…
J’espère ne pas avoir à t’adresser une troisième lettre, à travers le temps et l’espace. Comme tous ceux pour qui tu représentes un symbole, celui de la volonté de vie malgré la violence des obstacles, tu es désormais une petite lumière dans mon existence. J’attends maintenant avec une tranquille certitude le jour où nous nous retrouverons dans un même lieu. Une autre aventure commencera alors pour toi, celle de ta marche vers la guérison. Et, si tu l’acceptes, je te « prêterai ma plume » pour que tu puisses raconter ton histoire, l’histoire d’un être courageux, digne et libre…
PS: Tous les dons pour Grisha peuvent être adressés par le biais du site de l’association Bugey Sans Frontières http://bugey-sans-frontieres.fr
BSF est reconnue d’ intérêt général et peut émettre des reçus fiscaux