Bienvenue


Onze mois déjà. Onze mois s’étaient écoulés depuis qu’elle était arrivée à la Réunion ce matin du premier janvier. Elle regardait défiler les photos sur son portable, songeuse.
En débarquant à Gillot sur le sol réunionnais, elle avait apprécié cette chaude moiteur, probablement étouffante pour d’autres mais contre laquelle elle ne râlerait pas, oh non, ayant tant souffert du rude hiver qui sévissait cette année en métropole et qui continuerait à sévir au moins jusqu’au printemps.

Cette chaleur de l’océan indien, elle la reconnaissait bien ; d’abord pour l’avoir connue lors d’un lointain voyage en Inde, mais aussi au cours de son précédent séjour à la Réunion, en novembre, rendu nécessaire pour formaliser son contrat d’embauche et prendre toutes les dispositions utiles à son installation. En outre, elle savait que son corps-même la reconnaissait, par atavisme car elle était inscrite dans son sang ; depuis de nombreuses générations, son empreinte était présente par la branche paternelle de sa mère ; ce n’est pas étonnant si déjà,  en Inde, elle s’était sentie comme « chez  elle » tout comme lors de ses visites à ses cousines, dans l’ile sour.

Bien que toujours agréable sur cette compagnie, le vol avait été fatigant car elle n’avait pas pu fermer l’œil de la nuit. Il s’était avéré mouvementé également à cause de cet évènement surprenant mais plutôt de bon augure, enfin c’est comme cela quelle l’avait assumé.

« Sil se trouve un médecin parmi les passagers, qu’il veuille bien se présenter au personnel de bord ».
Elle n’était pas médecin mais tout de même, s’il n’y en avait pas !  Son devoir était de se manifester. Elle cherchait le sommeil depuis la fin du premier film, en vain. Sur le siège de droite resté libre, elle avait installé le panier dans lequel dormait paisiblement sa vieille compagne, Julie une chatte noire de bientôt 18 ans qui finirait ses jours à ses côtés.

« Pardon madame – adressa t’elle à l’hôtesse – je ne suis pas médecin mais, si vous avez besoin d’aide, je suis infirmière et à votre disposition ».

 « Non. Ça ira (un médecin s’était probablement manifesté), merci.et puis si, si.  Venez ! Suivez-moi !»

Elle se leva, d’un bond, enjambant la caisse de Julie et suivit la chef de cabine qui courait presque. Après quelques pas, elle arriva aux abords des toilettes d’où sortit une autre hôtesse transportant dans ses bras un petit bébé tout nu sous des langes de fortune, libérant de sa gorge ses toutes premières notes d’hymne à la vie.

Tout se passait très vite dans sa tête. En quelques secondes elle visualisa les quelques gestes effectués lors d’un stage trop lointain à l’école d’infirmière où la sage femme lui avait laissé accoucher une jeune parturiente, lui disant que ça lui servirait peut-être un jour.

 « Mais non, se dit-elle, ça ne peut pas être un accouchement, il est là bien présent ».son esprit se brouillait. Fausse couche. Mais non, idiote.il est là »…et tout ce petit monde se retrouva en quelques secondes au fond de l’avion où l’on avait installé un « bloc-salle d’accouchement-nurserie » (et, à ce sujet, bravo, ils ont tout ce qu’il faut à bord !)

Une dizaine de personnes, hôtesses et stewards, s’afférait autour  du nouveau-né et de la maman. Celle-ci était assise, l’air ravi, le visage hébété, encore étonnée de se qui venait de lui arriver, semblant ne pas encore réaliser vraiment l’importance de ce qui venait de se passer.
Elle  décida de soulager l’hôtesse de son précieux fardeau. Le bébé avait le haut du visage couvert de sang et elle pensa au pire ; elle venait d’apprendre que cette libération s’était produite dans les toilettes et que le petit bout de chou était littéralement tombé dans la cuvette, le choc ayant bien pu provoquer un hématome ou pire.

Tandis qu’elle le déposait au sol sur le berceau d’urgence et qu’avec le médecin, s’occupait de le libérer de son cordon, puis de le nettoyer, les pensées affluaient d’une façon anarchique : « Comment se pouvait-il ?… oh mon Dieu, le cordon .double tour.il aurait pu mourir étouffé .à terme ou non ? Aucun vol autorisé après sept mois ». Elle devait poser des questions à la maman.
Le cordon était clampé. Le médecin l’avait coupé et mis en place la pince ombilicale. Ce petit était plein de vie même si au début, les premiers cris s’étaient fait attendre !
Tandis que les hôtesses s’employaient avec délicatesse  à le barder de langes et lui prodiguer caresses et sourires, elle avait posé quelques questions à la maman. Ce magnifique petit bout était bien à terme car l’accouchement était prévu pour quelques jours plus tard seulement. Quant à la maman, elle avait ressenti un besoin pressent (je l’avais vue se lever, car elle était assise juste devant moi…hasard…)  et le bébé était venu tout seul ainsi que le placenta qu’on avait pu récupérer. Pour s’assurer de leur sécurité et écarter tous dangers, les conditions de la délivrance n’ayant pas été idéales, il avait été décidé qu’ils seraient hospitalisés tous deux durant deux jours sur Saint-Denis avant de rentrer sur Mayotte, leur destination finale, la jeune femme étant mahoraise.

La venue au monde d’un petit bébé, c’est déjà magique en soi mais, en plein vol, le soir de la Saint Sylvestre,  c’est unique ! Pour le coup, on avait eu l’autorisation d’utiliser les portables pour prendre quelques photos et fixer ces moments inoubliables.et, bien qu’on eut déjà profité de l’occasion trois heures plus tôt, l’avantage du décalage horaire fit que lorsque minuit fut venu, tout le monde s’embrassa et échangea ses vœux pour le nouvel an ! (merci AFP pour la photo, j’en avais une autre mais depuis j’ai perdu le portable! Cardamome est derrière la chef de cabine)

La presse se fit grandement l’écho de ce joyeux évènement qui avait quelque peu perturbé tout un équipage durant quelques instants; au moment où l’on passait au dessus de Djibouti, il y avait eu quelques minutes de graves réflexions pour le commandant de bord qui avait  la lourde responsabilité des passagers, de tous les passagers présents et à venir !

Pour notre nouvelle réunionnaise, ce fut, comme elle se plut à le penser, un évènement annonciateur, comme une salutation à ce nouveau départ, choisi, pour lequel elle avait mûrement réfléchi. De plus, – était-ce une coïncidence ou un clin d’œil du destin ?- elle était assise juste derrière la jeune mahoraise! A partir d
e ce moment, elle se disait qu’il ne pourrait lui arriver que du bon sur cette ile dont la simple évocation faisait rêver plus d’un métropolitain.

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